C’est l’histoire d’un outil universel et familier : le fil barbelé. Elle remonte aux premiers colons, à l’esprit de Conquête et à la chasse au sauvage. Elle s’ancre dans l’espace-temps de l’Ouest américain. C’est l’histoire d’un petit outil agricole qui bascule en histoire politique et s’emballe avec le train du capitalisme. C’est l’histoire de l’évolution des techniques de surveillance et de contrôle. L’inversion d’un rapport entre l’Homme et l’animal. C’est l’histoire du monde de la clôture et de la clôture du monde.
2014 / 88’ / 16/9 / couleur / Dolby stéréo 5.1
visa d'exploitation 139 262
supports d’exploitation : DCP
VO : ENG / ST FR et ST ESP
image : Fiona Braillon et Rémon Fromont
son : Félix Blume
assistante à la réalisation : Celia Dessardo
montage image : Philippe Boucq
montage son : Valène Leroy
mixage : Cyrille Lauwerier
producteurs délégués : Sophie Bruneau, Marc-Antoine Roudil et François Ladsous
Une production alter ego films et Les films du Nord avec l’aide du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la RTBF, du Centre National de la Cinématographie, de Pictanovo et du Fresnoy.
Première mondiale du film jeudi 30 octobre 2014
au 57ème Festival International DOK-Leipzig - Allemagne
Édition DVD: alter ego films
Distribution et ventes : alter ego films
57ème Festival International DOK-Leipzig - Allemagne
Festival International du film d'environnement - Paris - France
Stranger than fiction - Köln - Allemagne
Full Frame Documentary Film Festival - North Carolina - USA
Internationales Frauenfilmfestival - Dortmund - Germany
Millenium - Bruxelles - Belgique
Festival Terra Nostra - Lozère - France
Docville - Leuven - Belgique
Edoc 2015 - Quito - Ecuador
Studio National des arts contemporains Le Fresnoy - France
II Fronteira International Documentary & Experimental Film Festival 2015 - Goiânia - Brazil
Festival de l'Acharnière - Lille - France - Prix de l'innovation
Nuremberg International Human Rights Film Festival - Germany
Architecture Film Festival Lisbon - Portugal
Festival International Jean Rouch - Paris - France
Pre-selected for European Documentary at the 28th European Film Awards
Filmer à tout prix 2015 - Bruxelles - Belgique - Prix du Jury
Festival À Nous de Voir - Oullins - France
18ème Rencontres Cinéma CCPPO - Besançon - France
Sélectionné aux Magritte 2016 - Belgique
Festival Images de Justice 2016 - Rennes - France
IBAFF film festival 2016 - Murcia - Spain
12ème Rencontres du film documentaire - St Jean-du-Gard - France
Festival Mondes en Images - Cucuron - France
Altérités - Festival de cinéma et d'ethnographie 2020 - Caen - France
Festival lignes de Crêtes - 2020 - Champsaur et Valgaudemar - France
Concertina 2021 - Dieulefit - France
Rencontres du film documentaire 2021 - Mellionnec - France
Festival Résistances 2021 - Foix - France
Devil’s Rope. Cette corde du diable à laquelle s’accroche le dernier opus de Sophie Bruneau n’est autre qu’un fil barbelé. En le suivant, le récit embarque pour un voyage spatio-temporel, traversant les Etats-Unis, reprenant la route de la conquête de l’Ouest sur les pas des premiers colons. De la domestication de l’espace jusqu’à ses dérives politiques. L’usage agricole du barbelé devient, au fur et à mesure de l’Histoire et du film, un outil de contrôle, d’emprisonnement et de surveillance à l’échelle internationale. Le mouvement est souligné à la fois par les travellings et par la trajectoire des trains. La direction reste la même : Est-Ouest. Elle suit l’horizontalité des clôtures. Le motif ne se ramifie pas en diverses variations. Le fil se déroule, le film se déplie.
Il s’ouvre sur un monde lointain et désuet : troupeaux de bisons, ville désertée, vente de bétail et cowboys… Des fermiers hauts en couleurs exposent leur collection d’échantillons de fils ou leurs catalogues exhaustifs dessinés main. Ensuite, les barbelés sont fabriqués à l’usine, les clôtures installées. Des plans de propriétés privées défilent, et l’on glisse imperceptiblement vers le malaise. Un long mouvement de caméra fait se succéder les têtes de bestiaux parqués, innombrables. S’en suit une vue aérienne sans fin du quadrillage des champs et des domaines. Magnifique abstraction géométrique que l’on n’identifie pas dans l’immédiat comme représentation de l’omniprésence de l’homme. Comme colonisation du paysage et volonté folle de dompter l’immensité. D’avoir la maîtrise absolue… et de s’enfermer soi-même. « Quand la conquête de l’Ouest s’achève, tout le territoire est clôturé. Ce pays qui semble avoir inventé l’espace a réussi à clôturer l’infini, en un quart de siècle ». Les choses sont dites en douceur, dans la fluidité des travellings qui s’enchaînent. Et l’évidence du parallélisme entre hommes et bêtes s’impose d’elle-même.
Ces deux plans (la vue aérienne et le travelling latéral) font charnière, pivot. Le créateur du fil rasoir développe ensuite toute l’ingéniosité de son invention et retrace l’historique de son extension. Ainsi ce « Razor Wire » n’est pas utilisé pour les animaux, trop dangereux. Mais il est conçu pour les prisons et les camps. Les principaux commanditaires sont les gouvernements et les militaires. Sont cités à titre d’exemple Israël, Afghanistan, Arabie Saoudite, Corée… La situation géopolitique mondiale apparaît dans toute son horreur. La réalisatrice poursuit alors son fil : prisons, frontière mexicaine, check point… Puis le « couloir de la mort », ce désert que tentent de traverser les migrants dont les chances de survie sont quasi nulles.
Enfin arrive le point de non retour : un dernier train traverse l’écran, en sens inverse cette fois. Le travelling persiste lui, d’Est en Ouest. La conjugaison des deux mouvements provoque une sensation vertigineuse de surplace. Les dernières clôtures du film sont celles d’un terrain du Texas dévasté par la tempête. « On progresse dans l’espace en se confrontant à la séparation, la division, l’exploitation, la destruction puis, au final, la désolation. Le mouvement du capitalisme semble avancer en entraînant la mort progressive de toutes choses. » Rétrospectivement, tous ces fils barbelés nous apparaissent comme autant de blessures, de cicatrices d’un monde en déréliction : « La marque du pouvoir dans l’espace n’a jamais paru si visible, si implacable ».
L’organicité de la matière filmée et du montage modèlent cette fatalité en marche. L’enchâssement des plans soutient la nécessité de la progression, inévitable. Lumière naturelle, sobriété du montage (88 minutes pour 88 plans-séquences), cadres larges, fixes et frontaux, ou travelling impeccables, sans heurts : il y a, dans la mise en scène, une manière de se faire oublier et voir en même temps. À travers ce travail plastique apparaît une matérialisation sensible des dispositifs et du geste cinématographiques. La temporalité dilatée et la texture sonore concourent à rendre palpable et prégnant le contenu de l’image, et l’image elle-même. Jusqu’à parvenir parfois à dissocier signifié et signifiant. Les piliers métalliques qui composent le mur de la frontière mexicaine sont suffisamment espacés pour laisser entrevoir partiellement l’animation derrière eux : les apparitions et disparitions de l’arrière-plan fascinent. Les passages interminables de wagons de marchandises se muent en déplacements réguliers d’éléments cubiques dans le décor naturel. Le sens a décroché, ne reste que le phénomène hypnotique. Le long travelling sur les gueules des bestiaux et leur regard caméra laissent la place à la projection anthropomorphique, le fil barbelé danse et prend vie sous nos yeux lors de sa fabrication. Permanence du vent qui traverse les espaces gigantesques, et semble s’insuffler dans l’ensemble du film. Le cadre laisse le temps aux éléments visuels et sonores de venir habiter l’image, le rythme étiré permet le surgissement du poétique. La caméra propose de nouvelles balises aux espaces comme autant de « segments de paysages significatifs qui s’inscrivent eux-mêmes à l’intérieur du récit ». La posture du spectateur est mise en perspective. Il regarde l’enfermement de l’extérieur, il saisit la contamination et intègre sa propre aliénation. Conscientisation et dialectique du regard.
« Pendant toutes ces années j’ai eu le sentiment de tricoter du sens à partir d’éléments du réel qui étaient jusqu’alors séparés, de les faire aller ensemble, de produire de nouveaux rapports qui se transforment en champs de forces, ouvrant à une autre perception et donc à une nouvelle compréhension du monde » Cette nouvelle compréhension nous laisse dans un état proche de l’hébétude, du trouble laissé par cette beauté glaçante. Subjugués et terrifiés.
Juliette Borel - article paru sur Cinergie le 6 mars 2015
Pour les Européens, le fil barbelé, c'est la bougie d'Amnesty International, ce sont les camps de concentration. Aux États-Unis, le fil barbelé, c'est la Conquête de l'Ouest, l'installation de la propriété privée et l'arrivée brutale de l'ère industrielle et du capitalisme. Partant d'une réflexion sur la problématique de la surveillance et du contrôle, Sophie Bruneau se rend compte que cela la mène vers le fil barbelé. Elle en fait son prisme pour regarder le monde, plonge dans des lectures diverses, se nourrit de huit ans de recherches et part planter sa caméra dans l'Ouest américain pour raconter le cheminement vers notre modernité (qui nous échappe) et la clôture du monde. Mais comment rendre extraordinaire l'ordinaire? En faisant preuve d'imagination. C'est ce que fait la cinéaste belge en s'intéressant au barbelé sous toutes ses formes, à son histoire, à ses spécialistes. Elle met en scène la parole des témoins, revisite l'ordinaire par un rythme singulier et une approche très picturale. Offre des ciels à la John Ford, ose des scènes dignes du cinéma muet. Donne le temps de regarder les détails. Glisse à la surface des choses tout en proposant une profondeur de champ. Et dégage la fonction politique du fil barbelé. Son film s'impose fascinant, passionnant, sans voix off, sans archives, sans musique, avec de longs travellings et de longs plans fixes. Il raconte simplement, parfois avec drôlerie, parfois de façon poétique, comment le monde est devenu une grande clôture, comment l'évolution des techniques de surveillance et de contrôle entraîne une animalisation de l'homme. De quoi bousculer l'image de la longue route droite et sans fin...
Fabienne Bradfer, article paru dans Le Soir, 25 mars 2015
Depuis qu'un jour de novembre 1620 une centaine d'Anglais ont débarqué du Mayflower après deux mois de mer sur site de l'actuelle Provincetown (Massachusetts), le territoire d'une Amérique qu'on n'appelait pas encore "États-Unis" n'a cessé d'être divisé, morcelé, clôturé par les Européens. L'invention, deux siècles et demi plus tard, du fil de fer barbelé a accéléré la conquête de l'Ouest, facilitant l'appropriation par les uns et les autres d'un territoire qu'on pouvait croire illimité. De cette évidence historique, la documentariste belge Sophie Bruneau a tiré un essai filmique d'une grande beauté, qui arpente des paysages de western en une succession de travellings puissamment évocateurs, ponctuée de prises de paroles éloquentes - notamment de collectionneurs de fils de fer. Avec une confiance absolue dans les moyens du cinéma, la réalisatrice d'Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés explore cette thématique de la "corde du diable" (surnom dépréciatif donné aux barbelés), et nous propose de nous interroger sur la politique de l'espace induite par son usage dans ce film ample et profond, qui modifie notre oeil et notre point de vue sans jamais les forcer.
François Ekchajzer - article paru dans Télérama, juin 2015
DE FIL EN AIGUILLE... Le fil barbelé inspire à Sophie Bruneau un film passionnant, aux échos multiples et d'une rare beauté.
Sophie Bruneau a voulu suivre l'histoire d'un accessoire agricole devenu l'expression littéralement tranchante d'un système économique et politique. Son documentaire, original dans son sujet comme dans sa mise en scène, offre une des expériences cinématographiques les plus fascinantes de ce début d'année. Une oeuvre admirablement située entre réel passionnant et regard (sobrement) critique, émotion du moment saisi par la caméra et réflexion posée dans la durée. Sophie Bruneau avait déjà cosigné, avec Marc-Antoine Roudil, le très applaudi Arbres (en 2001). Son nouveau film s'avance dans une nudité marquante. Pas de commentaire off, ni de questions posées aux quelques témoins qui communiquent in situ en s'adressant à nous comme si nous étions là , tantôt dans la chaleur d'un désert où meurent de soif et d'épuisement bien trop de clandestins, tantôt dans la nuit incertaine où brillent les spots de surveillance d'un pénitencier. Car de la vocation première, fermière, du fil barbelé, le film nous donne à voir ses usages étendus aux hommes, indésirables parce que hors-la-loi de l'intérieur comme de l'extérieur... Le discours que sous-tendent les images n'a pas besoin de se faire explicite. Le cadre est maîtrisé, le hors-champ se fait sentir, la photographie tire un parti superbe d'une lumière naturelle captée à des moments choisis. Rarement ce qui peut -et doit- séparer le documentaire d'auteur du reportage a été si manifeste, fascinant et palpable.
Louis Danvers, paru dans Le Vif, le 30 mars 2015
L’esprit des lieux
Comment éveiller un regard et la pensée qui l'accompagne, à une autre sensibilité, une autre compréhension ? Comment faire voir et saisir ce qui jusqu'alors se tenait enfoui sous les évidences du quotidien ? Certains cinéastes continuent d'expérimenter des façons de mettre en scène ces questions comme autant de chemins de traverse qui vont du connu vers l'inconnu. Avec son dernier film, La Corde du Diable, Sophie Bruneau rejoint ceux là qui réussissent à nous faire vivre le cinéma comme une aventure où le risque de changer prend toute son importance. Au point de départ du film, la proposition semble claire : raconter la Conquête de l'Ouest à partir de l'usage du fil barbelé, ou autrement dit, faire du fil barbelé, la métaphore de ce large mouvement qui, d'Est en Ouest, a civilisé les terres sauvages qui allaient devenir les États-Unis d'Amérique. Pourtant très vite ce qui apparaissait comme un sujet à traiter, va se faire littéralement phagocyter par quelque chose d'autrement plus vaste, plus complexe, plus difficile à cerner. Ce qui va surgir est la figure du monde qui autorise et le fil barbelé et la Conquête, et la fin de l'autochtone et la domination du civilisé. Rien de moins.
Quitter le sujet à traiter.
Pour se faire, la cinéaste va filmer cet espace qui surgit et s'organise alors que disparaissent les territoires sauvages et leurs frontières naturelles. Elle filme ces situations où le fil de fer barbelé devient le signe d'une économie spatiale qui réduit l'hétérogénéité des lieux et la diversité de leurs identités à un même usage, un même modèle, une même norme. Elle filme les animaux derrière les barrières, les clôtures, les grillages. Elle filme des hommes qui reproduisent avec une banale innocence l'acte d'enclore, d'isoler, de protéger bêtes, humains et habitats. Elle traque ce moment singulier où le parcage des bêtes et l'enfermement des hommes accouchent d'un nouveau monde qui reconfigure toutes les modalités du vivre ensemble. Si l'usage du barbelé (et de ses avatars) rend compte de cette dynamique, la cinéaste le filme en sachant pertinemment bien qu'il n'est en rien la cause de ce bouleversement. Signe autant qu'effet, il manifeste cette colonisation de la vie par un pouvoir dominant qui s'exporte. C'est pourquoi elle filme ces lignes, ces découpes, ces brisures qui mettent en perspective un dedans et un dehors, un clos et un ouvert, un connu et un ailleurs. Elle filme l'animal faite chose. Elle filme ces trains de marchandises comme autant de bornages d'un espace qui, devenu lui aussi marchandise, se capitalise, imposant son principe sécuritaire. Elle filme les prisons, les checkpoints, les murs qui enferment des deux côtés. Et ce faisant, elle place au centre de son film, cette invention d'un territoire enfin unifié dont la fonction première est de gouverner la vie des hommes.
Une forme narrative radicale.
Pour rendre visible ce qui ne l'est pas, la cinéaste invente une formecinématographique qui est partie prenante de son propos. A contrario de la logique que manifeste le barbelé, réunir ce qui est séparé en tant que séparé, elle a voulu son film comme une lente dilution de la séparation avec une radicalité qui n'a d'égal que sa maîtrise. La Corde du Diable a cette fulgurance et cette inventivité des premiers âges du cinéma muet. Sans un mot de commentaire, sans jamais recourir aux convenances de l'explication ni à la facilité de l'expertise, elle construit son film en pariant sur la justesse métaphorique des images et des sons, et sur l'intelligence sensible du montage. De là l'importance du rythme particulier de ce dernier, fait de syncopes et de retours en arrière qui éclairent différemment ce que nous pensions avoir déjà compris. Si chaque plan appelle le suivant, se fond dans le suivant, le récit fait la part belle au non dit, au non vu. Le hors champ devient essentiel et une des réussites du film tient dans ce qu'il est construit non pas en fonction de ce qu'il nous montre mais suivant ce qu'il nous laisse deviner d'une trajectoire jamais interrompue. Ainsi l'usage récurrent de longs travellings qui se déroulent d'Est en Ouest, rappelant le mouvement de la Conquête, participe à cette dilution du plan pour mieux favoriser une compréhension en devenir, en cheminement. Car à l'inverse des pièces d'un puzzle qui nous livrent l'image statique d'une finalité, ce que propose La Corde du Diable est une sorte de mise en mouvement, de voyage mental qui se prolonge bien après la fin du film.
Pour rendre pleinement hommage au film, il faudrait encore parler de la richesse de la bande son qui confère aux « paysages » et aux êtres vivants, une profondeur inhabituelle ; il faudrait revenir à l'incroyable « immobilité » des travellings qui nous pose sur un dehors, ne nous laissant percevoir d'un espace privé que le dispositif interdisant tout contact ; il faudrait enfin décrire les « rencontres » singulières, celles avec un collectionneur, un archiviste et un concepteur de fils barbelés auxquels se joignent une anthropologue et un Indien du désert de Sonora. Mais tenter de citer toutes les qualités de La Corde du Diable est un pari perdu d'avance car ici tout se tient, tout s'enchaîne et il faudrait presque refaire le film dans son entièreté pour n'en rien oublier.
Un enjeu qui ignore les sentiers balisés .
Si le film s'arrêtait à ce qui précède, il serait déjà passionnant mais il faut attendre les dernières séquences pour en vivre pleinement l'enjeu et la portée. Le monde qui se cache derrière le fil barbelé est un monde mortifère, un espace forclos en voie de désertification et qui s'impose par l'exclusion de la vie. Ce qu'il produit en définitive, ce sont des ruines. Et la cinéaste nous suggère que c'est peut être de là qu'il nous faut partir à présent, de ces ruines qui, comme le disait Walter Benjamin, ouvrent de nouveaux chemins, libèrent l'espace de sa géographie et nous poussent à retrouver l'esprit des lieux, une forme de magie où le vivant est ce qui nous constitue. Et s'il fallait une conclusion à la hauteur de l'enthousiasme que suscite La Corde du Diable, elle pourrait se dire comme suit : la façon dont Sophie Bruneau a pensé et voulu son film, sa facture et sa forme, son invention et sa rigueur, sa justesse et son émotion sont déjà un des chemins qu'évoquait le philosophe. L'emprunter en tant que spectateur, c'est déjà faire l'expérience d'autres possibles, c'est déjà tourner dos au désert et en finir avec la peur de l'inconnu. C'est déjà pressentir la mort du fil barbelé et la fin du monde dont il est la signature.
Philippe Simon, publié sur Cinergie