Pardevant notaire
un film de Marc-Antoine Roudil et Sophie Bruneau
Pardevant notaire est l’histoire croisée de quatre situations notariales dans une étude de Haute - Auvergne. A travers le récit de deux ventes négociées, un inventaire et un dossier de succession, l’étude du notaire devient le règne des histoires de propriété et d’argent, des conversations intimes et des échanges secrets, bref de la comédie humaine.
1999 / 75' / 35mm / 1,66 / couleur
visa d'exploitation 99 007
supports d'exploitation : 35mm
VO : FR / ST ENG
image : Antoine-Marie Meert
son : Yves Capus
montage image : Phlippe Boucq
montage son : Benoît Bruwier
mixage : Philippe Baudhuin
Une production ADR Productions et Cobra Films en coproduction avec France 2 avec l'aide du Centre du Cinéma et de l'Audiovisuel du Ministère de la Communauté française de Belgique et des télédistributeurs wallons, Commission européenne Leader II Haute Auvergne, Centre National de la Cinématographie, Procirep, Conseil Régional d'Auvergne, et Wallonie Image Production / WIP
Premières projections du film dans le Cantal :
mardi 7 septembre 1999 / Centre des Congrès à Aurillac
mercredi 8 septembre 1999 / Gymnase de Condat-en-Feniers
Première projection du film à Paris : jeudi 28 octobre 1999 / Centre Wallonie Bruxelles
Première projection du film à Bruxelles : vendredi 26 novembre 1999 / Espace Delvaux
Première diffusion télévisée : France 2 dimanche 12 septembre 1999 à 23h55
Distribution salles France : Bodega Films 13 octobre 2004
Primé aux festivals suivants :
Sélectionné aux festivals suivants :
article paru dans le n° 549 septembre 2000 des Cahiers du Cinéma
Les explorateurs de l’autre
Comment approcher l’Autre sans tomber dans le piège de l’exotisme ?
Pardevant notaire, de Marc-Antoine Roudil et Sophie Bruneau, décrit le quotidien d’une étude notariale dans un village de Haute-Auvergne, à travers le récit de deux ventes, un inventaire, une succession, et les rencontres du notaire avec ses clients, pour la plupart paysans. Les auteurs concentrent leur regard sur le cabinet notarial, manière pour eux d’éviter l’exotisme rural que n’auraient pas manqué de provoquer champs, maisons, animaux de ferme, tracteurs comme toile de fond.
La couleur locale est évacuée dans le hors champ des tractations. Restent les personnages, paysans dont l’attitude, la vêture ou le parlé attestent d’une culture rurale. Jamais le film ne les inscrit dans leur environnement, il les décontextualise, gauches et intimidés par cet univers qui n’est pas le leur. C’est ici que la part d’exotisme s’estompe au profit d’une description comportementale où seules comptent postures et paroles échangées dans le cadre du cabinet. L’image ne peut plus s’en remettre au seul décor, mais invoque le hors champ où la terre reste la terre. Paradoxalement circonscrire cette part de réel au cabinet notarial est ce par quoi l’impression d’une permanence des choses (de la terre) advient sur l’écran. Les successions et les ventes font partie d’un cycle où certains meurent d’autres héritent, certains vieillissent tandis que les autres s’installent. Ce sentiment d’une réalité pérenne à travers les âges (les situations pourraient tout aussi bien appartenir au siècle passé) doit beaucoup à la répétition des scènes de négociations. D’une rencontre à l’autre, les paroles sont invariablement les mêmes (« je ne lâcherai pas ma parcelle pour moins de … »), les comportements inamovibles (on est plein de respect pour le notable du village mais on s’entredéchire de façon mesquine entre paysans du même monde). Le dispositif (se concentrer sur l’intérieur du cabinet) rappelle sur un autre sujet, Délits flagrants de Depardon, même si les auteurs usent assez peu de ces vues latérales qui, chez Depardon, enregistraient de façon glaçante la distance séparant le juge du prévenu. C’est qu’ici la relation s’apparente davantage à celle d’un instituteur avec ses élèves, avec ce petit rien de paternalisme qui caractérise l’attitude du notaire envers ces clients, peu rompus aux règles notariales et à la valeur marchande de leurs biens (on surestime, on grappille).
Le notaire montre qu’il est chez lui, en terrain connu, alors que, au fil des rencontres, il va jusqu’à porter un pull-over assorti aux tons ocres des murs de son bureau, d’une manière presque fusionnelle avec son environnement.
Il est le seul maître de cérémonie, le seul à véritablement se mettre en scène (les tapotements du stylo contre son bureau signifient qu’il est temps de conclure), à être contextualisé. Le film avance selon ces deux lignes documentaires qui chacune évitent l’écueil de l’exotisme, celle qui génère du hors champ (la terre dont il ne reste, comme trace, que les tractations), et celle, descriptive, qui génère du détail (les comportements des hommes et les procédés de mise en scène du notaire).
Jean-Sébastien Chauvin
article paru dans Positif n°526
La ruralité, le patrimoine, l’héritage, les biens sont des concepts dont la matérialité passe pour réfractaire à l’image. Erreur ! L’idée lumineuse est d’avoir pensé au lieu de leur incarnation (ici, le mot est approprié). C’est l’étude du notaire. Celui qui a accepté de se prêter au film est parfait, un gentleman, un diplomate, un notable. Un officiant en psychologie appliquée plus qu’en transactions financières.
Quand il sort son stylo pour noter les données en discussion, l’écrit est déjà du sacré. Non seulement il gère des ventes, des inventaires, des successions, mais il canalise de l’affect. Ceux qui comparaissent devant lui sont propriétaires (vendeurs) ou candidats à la propriété (acheteurs). Entre eux, autant que la méfiance et l’hostilité, il y a de la souffrance, celle de celui qui se dépossède de sa terre, celle de celui qui y aspire et auquel on tient la dragée haute. Il devra emprunter, donc encore dépendre. L’intensité des sentiments liés à la pulsion de possession est inouïe : on pense au Joffroi de Pagnol, mais, ici, on n’est pas dans la fiction.
En position d’observateur neutre, la caméra enregistre les variantes du rituel et les comportements de visiteurs dont l’archaïsme est moins frappant que la dignité. Pour l’inventaire en forme de chasse au trésor caché dans la maison d’un défunt, elle est toujours à la juste distance. La sympathie humaniste, l’intelligence des rapports de force de Pardevant notaire débouchent sur du corrosif. Pourtant ce film étonnant se déguste et se savoure. Il fait comprendre pourquoi les constituants bourgeois de 1789 ont conclu leur déclaration des droits de l’homme et du citoyen par l’article 17 : « La propriété étant un droit inaliénable et sacré, nul ne peut en être privé… »
Françoise Audé
article paru dans Le Monde du 13 octobre 2004
Le journal banal et intense d’un notaire de campagne.
On ne pourra pas reprocher à Marc-Antoine Roudil et Sophie Bruneau d’avoir choisi un sujet racoleur. Le quotidien d’un notaire de campagne, essentiellement filmé à partir de son bureau, ne déborde pas en effet de pittoresque. Le documentaire à beau s’inscrire dans la veine rurale en vogue depuis Etre et avoir, il n’a aucun de ses attraits cinégéniques : ni un personnage truculent de la trempe de Jojo ni les couleurs et les éclats de voix qui structurent l’espace…
Il ne peut pas non plus être vu comme le modèle suranné d’un âge d’or révolu, détruit par les assauts de la modernité. On est loin ici des mécanismes de la télé-réalité. Il ne s’agit pas de susciter des émotions à partir de l’étalage public de l’intimité des personnes filmées.
Plutôt qu’à d’éventuels personnages, l’auteur s’intéresse surtout à des situations.
Au montage, les auteurs ont conservé quatre « affaires » aussi banales que la cession d’un terrain entre deux particuliers ou la mise en vente d’un commerce après le décès prématuré du propriétaire. Le notaire rencontre les parties individuellement, discute avec elles de leurs attentes respectives puis les reçoit ensemble, lors d’une troisième étape, pour les accompagner dans la négociation. Selon les cas, la transaction a lieu ou non.
L’affectif et le financier
Le film met en jeu le rapport très délicat entre, d’une part, l’affectif et le symbolique (la terre, une maison, le bien d’un défunt) et, d’autre part, le financier. Dans les discours des uns et des autres, c’est la pudeur qui domine, le non-dit, ou encore tout simplement la difficulté qu’il y a à admettre une équivalence entre un ordre et l’autre. Le notaire intervient alors comme accoucheur d’une parole minimale, la parole nécessaire à la transaction. Il est présenté ici comme le maillon indispensable de la société civile, un véritable ciment du lien social. Le talent des réalisateurs consiste, tout en assumant la présence de la caméra (il arrive que le notaire lui parle directement), à s’effacer pendant les rencontres et à consacrer toute leur attention à ces silences, ces gestes de désapprobation, ces rires étouffés, méprisants ou effarés, qui en disent long sur l’état d’une partie de la société française. Ils mettent ainsi en lumière la survivance de mentalités quasi féodales : ainsi un vendeur potentiel assène, content de lui, à l’acheteur qui refuse de payer son prix : « c’est très bien ainsi : je resterai propriétaire, vous resterez fermier ! ».
Plongé dans le quotidien banal de ce notaire, Marc-Antoine Roudil et Sophie Bruneau ont filmé avec un regard respectueux et tendre qui fait jaillir des scènes une étonnante intensité. Leur film n’est pas seulement un précieux document anthropologique ; c’est aussi un petit recueil de nouvelles, délicat et fragile.
Isabelle Régnier